éditions trình bày, saigon, 1960
immondices de banlieue
par thế phong
TRADUIT PAR LÊ HÀO [LÊ VĂN HẢO]
(p. 71- 88 LE CRÉPUSCULE DE LA VIOLENCE)
traduit par Cao Giao
( Le Monde Diplomatique / Paris / Décmbre, 1970)
Cette zone de terrain se trouve à environ 7 km de la ville. D' un côté ce sont les planta-tions d' hévéa, de l' autre les rizières et quelques usines de tissage. Le terrain est sortie au milieu, large d' à peu près 6.000 m2. La partie antérieure du terrain, empiétant quelque peu les plantations est préposée aux immondices apportées de la ville par des véhicules de toutes catégories spécialement reservées à cette besogne. Depuis l' arrivée des Américans leurs véhicules s' ajoutent à ceux des Viêtnamiens. Ils emploient soit des G.M.C. soit des Jeep tous plus grands et modernes que toutes les voitures que nous recevons d' eux à titre d' aide. La partie postérieure du terrain renferme une rangée de cinq maisonnettes mar-
quées A,B,C,D,E. La maisonnette A est située à l' orée des plantations d' hévéa au milieu d' un terrain large de 800 m2. Les autres sont des bâtisses sommaires au toit de tôle, aux murs de planches et sans palissade.
Le propriétaire de ces maisonnettes st un soldat parachutiste dont la compagnie cantone de l' autre côté de la grande route, devant les tas d' immondices. Il est maintenant démobilisé. Le terrain comme la plantation attenante appartiennent de droit au curé de la paroisse, mais le parachutiste a priorité de son prestige militaire pour procéder à l' occupation illégale. Il
n' habite pas les maisonnettes qu' il a construites, mais les loue et vit assez aisément grâce au loyer percu. Jusqu' à maintenant la location s' effectue sans histoire.
Puis un beau jour le locataire des maisonnettes A et B lui cherche noise et lui joue un bien mauvais tourr. À la différence de Trân le propriétaire, l' occupant de A et B nomme Dang est un parachutiste en service et pour le surplus possesseur d' une fabrique de briques, de tuyaux d' égou^t et autres accessoires de construction commandés par les entrepeneurs des bâtiments. Au début il n' a visé que le terrain qui s' étend autour des maisonnettes et sur lequel il projette de bâtir une nouvelle fabrique, mais mis au courant de l' occupation illégale, Dang nourrit le dessein de déposséder le propriétaire. S' étant enquis des gou^ts et préférences du curé, il commence par lui offrir un boa, puis une vingtaine de pigeons, et
d' autres présents très appréciés. Il lui propose ensuite de louer le terrain. Le curé trouve la chose fort raisonnable. Trân le propriétaire est appelé ainsi à comparai^tre devant le tribunal pour répondre du délit d' occupation illégale d' un terrain qui fait l' objet d' une location réglementaire. Trân a beau demander à son avocat de le défendre, il perd son procès parce qu' il ne peut y mettre le prix qu' il faut -- chose qui arrive à toute société humaine actuelle -- il se voit imposer un délai de démonter ses maisonnettes. En attendant l' expiration de ce delai qui dure quelques mois encore, Trân loue provisoirement la maison-
nette B à un autre parachutiste et la maisonnette A à l' oncle Chánh, qui est mon hôte et bienfaiteur. Le dernier, quoique très pauvre, a bien voulu m' héberger depuis que mon métier d' écrivain me réduit à l' état de chômage. C' est ainsi que je viens habiter cette zône de banlieue réservée aux immondices.
Au début les habitants de A et de B se montrent d' une parfaite gentillesse mutuelle. Les marques de bonté même n' ont pas manqué. Tiêt le parachutiste habite avec sa femme, sa fillette qui apprend à marcher et ses deux jeunes frères. Il part chaque jour pour son travail, et laisse à sa femme la tâche de récupérer les choses utilisables que les Américans dever-
sent dans les tas d' immondices. Elle est aidée dans ce travail par M. Thuoc, un réfugié nord- viêtnamien d'un certain âge qui habite dans le quartier ouvrier situé à l' autre côté de la plantation d' hévéa. Ce coin de forêt d' hévéaculture est pour ainsi dire un vaste cabinet d' aisance public pour la soixantaine de familles de travailleurs qui logent dans ces parages.
Tous les jours, un convoi de plusieurs dizaines de camions vient vider leur cargaison de rebut, Immondice serait peut- être impropre puisqu' on ramasse dans ces tas de planches, des caisses en bois ou carton en bois ou en carton, des malles contenant des uniformes usés, des boi^tes de conserve, les cartouches vides de roquettes, etc ... en un mot tous les déchets possibles de la guerre.
Chaque fois que les camions arrivent devant nos maisonnetes, les habitants de B se mettent à offrir aux conducteurs étrangers des verres de coca- cola, de bière, de limonade. À la vue de ces déchets que les revendeurs ne mésestiment point, je ne peux m' empê-
cher de faire des évaluations mentales: une caisse en carton 60 piastres, deux douilles de roquette 10 piastres: les honoraires d' un haut fonctionnaire de la classe A ne se repré-
sentent que la moitié aux ce que gagne le ménage de B à ce travail de récupération pensé- je. Chose humiliante pour mon métier d' écrivain, le cou^t d' un livre ne dépasse guère le prix d' une dizaine de douilles de roquette. La famille de l' oncle Chánh dépense chaque jour pour le marché 12 piastres soit deux fois et demi le prix d' une douille.
Malgré ces calculs l' oncle Chánh, et ses enfants ainsi que moi- même ne sommes point obsédés par le démon de l' envie. Nous supportons tous les soirs la fumée des immondices bru^lées qui nous fait larmoyer.
Pendant les premiers jours de notre installation, Tiêt le parachutiste se montre assez ser-
viable et une fois même a proposé à l' ai^né de l' oncle Chánh de se servir des planchettes de bois recupérées comme combustible au lieu de les acheter au marché. L' oncle Chánh loue Tiêt auprès de moi pour sa correction et sa gentillesse. Je hoche la tête en signe
d' assentiment sans rien ajouter. Un homme comme Tiêt, au maintien posé, au sourire facile, un brin d' artiste ( il gratte un peu la guitare) et débrouillard avec son anglais suffisant pour se faire comprendre des Américans, un homme qui ne cherche presque jamais que-relle à sa femme et ses frères, qui ne bat pas ses enfants, qui ni derange personne dans ses rentrées et ses sorties, voilà pour moi un homme correct. Qu' il soit cultivé ou non, ca
n' a pas la moindre importance pour le voisin conciliant que je suis, nullement curieux en ce qui concerne la vie privée des autres.
Par contre Trân, le propriétaire des maisonnettes, me raconte bien de mauvaises choses à propos de mon voisin parachutiste. Il parait que Tiêt était bien pauvre à son arrivée. Main-tenant gra^ce à son anglais petit- nègre il sait se débrouiller auprès des Américans dé-chargeurs d' immondices, se fait leur complice pour certaines choses. Des cargaisons pleines de planches neuves, des ve^tements militaires encore portables, ils les amènent pour donner ou vendre à bas prix à Tiêt. Celui- ci, commencant à faire fortune, a l' air trop hautain envers Trân parai^t- il. J' écoute ce dernier sans essayer de le faire parler davan-
tage . Ses propos me semblent être dictés par la jalousie, et il cherche sans doute à attirer l' oncle Chánh et moi à ses côtés.
Un soir, au retour d' une promenade, je vois Tiệt torse nu, assis devant sa maisonnette, flanqué d' un poste de radio Philips cou^teux. Il sourit à ma vue et se met à me confier:
" Ce gaillard Trân essaie de me nuire vous savez ! Parce que les Américans ont de la sympathie envers moi et m' ont une fois donne un camion plein de planches neuves, alors il m' envie, Vous savez qu' on m' a volé un certain nombre de planches. Après enque^te,
c' est lui- même le voleur à ces ce que j' ai appris ! "
Comme d' habitude, je n' ajoute ni ne retranche rien à ce genre de propos. Tiêt ajoute:
" Je ne lui en veux pas jusqu' à la haine; mais puisqu' il les a prises, il devrait le re-
connai^tre c' est tout". Puis Tiêt passe à un autre sujet: " Dans quelques temps je partirai faire des études aux État- Unis. Quelques amis américains ont fait des démarches pour moi. Une fois arrivé là bas je n' aurai aucun soucis mais c' est à l' avenir de ma femme et de mes enfants que je pense."
Les confidences de Tiêt me rappellent les soirs où des Américains viennent lui rendre visite. Sa femme dit à son jeune frère de payer le taxi qui arrive croyant faire là un geste de savoir- vivre et d' hospitalité. Elle raconte aux voisins comment s' est passé chacune de ces visites qui lui semblent un grand honneur et entretiennent sa fierté.
Les cinq maisonnettes ont une cuisine et une salle de bain en commun du co^té arrière. Paperasses et une ordure sont éparses sur le sol. Personne n' a cure de la propreté commune. Un jour, quand je ramasse quelques feuilles de papier par terre pour faire le feu, le hasard m' a fait apercevoir une lettre écrite en anglais que je me mis à lire, par
curiosité:
Mon cher ami M.,
Vous n' avez pas à acheter des cadeaux poir ma femme. Je vous demanderai seulement
d' acheter pour moi 50 paquets de cigarettes Pall- Mall, Lucky ou Salem et 20 boi^tes de tabac à pipe 79. À Noel prochain je vous amènerai dans un endroit épatant. La fille viênamiennes est très belle. Ce soir je vous attends chez moi.
Bien à vous.
TIÊT
Je ne me souviens plus très bien de l' original en anglais mais une seule phrase a frappé mon attention c' est l' avant- derniere, avec ces mots; "The Viêtnamese girl is very beautiful." Cela me faire rire.
Depuis que ses affaires d' immondices rapportent, Tiết s' habille avec un luxe un peu re-
cherche, à la manière d' un fils de famille parvenu. Chaque dimanche matin, il porte
toujours un complet me^me s' il fait chaud. Les jours de fête, il va au restaurant tout à côté sans oublier de parfumer ses vêtements. La mise est toujours élégant comme celle d' un fonctionnaire célibataire de la catégorie A. Il ne fume que du Lucky ou du 79. Le savon avec lequel il se lave est d' un parfum pénétrant et tenace comme j 'ai pu constater une fois quand il l' a oublié dans la salle de bain commune attenante à nos maisonnettes. La famille de Tiêt peut se procurer tous les aliments coute^ux que les Américans consomment au Viêtnam: fruits, viandes en conserve, bonbons, crème, café, chocolat. Il m' est arrivé, dans les jours de gêne extrême, de pouvoir me passer de cigarettes grâce au parfum de mixature des boufées de 79 qui parvient jusqu' à moi.
Jour après jour les camions américans viennent vider leur cargaison de leur luxueuses 'immondices' de préférence dans le cour de la maisonnette de Tiêt ce qui ne fait
qu' aviver l' animosité que Trân nourrit contre lui. Surtout à partir du mois dernier Tiêt refuse de payer le loyer à son propriétaire sous prétexte que celui- ci a volé des planches de bois. Le loyer n' est que de 300 piastres, le 1/10 de ce que Tiêt gagne par jour dans le commerce avec les conducteurs de camions américans. L' inimitié risque de durer et de faire tâche d' huile car à l' autre bout du terrain près d' une soixantaine de familles vivent aussi grâce à la besogne de fouiller les tas d' immondices. Elles ne désirent qu' une chose: qu' un certain nombre de camions ne s' arrêtent pas devant la cour de chez Tiêt mais parviennent jus' quà l' orée de la plantation et y vident leur charge pour qu' elles puissent avoir leur part de produits de récupération,
En réalite, quelques camions dédaignent de s' arrêter devant la maisonnette B parce ce leurs chauffeurs n' aiment pas à être flattés par la famille de Tiêt et sont insensibles au marques de sympathie désintéressées prodiguées par celle- ci. Malheureusement, ces camions transportent des vrais déchets quasi- irrécupérables et sales qui méritent bien eux le nom d' immondices !
Un beau jour, Tiêt commence à s' en prendre à l' oncle Chánh parce que ce dernier, alléguant le prétexte d' une fête de famille tant soit peu solennelle lui demande de dégager la cour de tous les tas de planches de bois qui l' encombrent devant les maisonnettes. Tiêt n' a pas protesté et a déplacé toutes les planches qui gênent l' entrée commune.
La fête s' est pasée dans une atmosphère de liesse, on note la présence de quelques per-sonnages d' importance: un avocat, un magistrat, un commissaire de police, les uns étant mes amis, les autres ceux de l' oncle Chánh.
Peu après ce dernier apprend que son voisin de B a signalé aux autorités une importante réunion dans la maison de A pour ourdir on ne sait pas quoi. L' oncle Chánh commence alors à se tenir sur la défensive tout en attendant l' occasion de la revanche.
Entre les deux adversaires, je garde une attitude silencieuse et tiens tout cela pour une mesquine querelle d' intérêts.
En fait la guerre froide a éclaté les familles A et B et entre d' emblée dans une phase décisive. Du côté A, en plus de l' oncle Chánh il ya Trân le propriétaire et cinquante autres familles qui vivent du métier de chiffonniers au bord de la plantation.
Parlant de ces familles, je ne peux m' mempe^cher de revoir l' image du' une petite foule de Viêtnamiens d' origine Khmère misérables, déguenillés, des femmes malpropres aux seins étirés, presque à découvert, portant leurs bébes de quelques mois attachés sur le dos, courbant l'échine pour fouiller dans les immondices avec une pelle. Le lourd relent qui s' y exhale suffit à me donner des maux de tête insupportables après cinq minutes; pourtant ces gens s' y vautrent à longueur de journée. Ils récupèrent patiemment des bouts de corde, des morceaux de ferraille, des bouteilles vides qui y sont enfouis.
Les enfants se bagarrent parfois jusqu' au sang pour disputer les uns aux autres un pan-talon militaire encore utilisable.
L' oncle Chánh continue de me tenir des propos malveillants sur la famille B: la femme deTiêt, d' origine chinoise, a été fille de publique avant de se ranger; grâce aux profits tirés des immondices, elle fait maintenent la fière avec les voisins , etc ...
Les camions américans continuent de vider leur cargaison de douilles de roquette, de caisses en bois ... fort appréciés. Les Chinois de Cholon achètent les douilles pour récu-
pérer le cuivre.
Un jour l'oncle Chánh prend la décision de porter plainte contre Tiêt à mon insu; il met en avant le manque d' hygiène cause par la fumée des ordures bru^lées; Trân le propriétaire lui aussi ne demeure pas oisif, il accuse Tiệt auprès des autorités militaires américaines de colluder avec les chauffeurs des camions d' immondices pour faire du marché noir contre pots-de-vin et entremise galante.
La vie continue son train misérables dans les partages des tas d' ordure. Les enfants sont chaque jour plus hirsutes, plus maculés; une fois il m' est arrivé de voir une fille de dix-sept ans à la mise négligante, déguenillée, se tenir près des immondices en train de lécher sa main tachetée de chocolat. Elle ressemble à une vieille, tant elle est mai^gre et ratatinée, courbée sous le poids de l' extrême indigence. À ses côtés sa petite soeur pleure et l' in-
jurie pour lui avoir ravi le morceau de chocolat déniché dans le tas. Je me détourne, saisi
d' un haut-le-coeur irrésistible. Cette fille de dix-sept ans famélique, je l' ai apercue quel-ques fois se donner à des clients d' occasion dans l' ombre nocturne de la forêt d' hévéas. Sans cela elle serait morte de faim depuis longtemps. D' autres couples prennent le même chemin sous l' égide de la même obscure.
À ces images viennent se mêler celles qui me sont offertes par la famille de Tiêt qui recoit souvent la visite des étrangers lui apportant cigarettes, whisky, boi^tes de conserve, sans compter les produits de récupération bénéfiques. Je ne me sens aucune pitié pour Tiêt victime d' un récent vol qui lui cou^te sa radio Philips, sa garde-robe et toutes ses éco-nomies.
Un soir j'entends la voix haletante de l' oncle Chánh qui fait semblant d' appeler les voisins à sa rescousse: " Au secours ! À moi ! Le 'cowboy' veut me battre." En sortant de la maison je vois Xi le jeune frère de Tiêt le visage furieux et agressif: " Espèce de vieux c ... ! Qu' est- ce qui se prend de me guetter ?"
Ce langage d' un jeune de vingt ans me surprend par sa grossièté immodérée. Je me sou-
viens que Xi est le camarade du fils ai^né de l' oncle Chánh, et je devine que Tiết tramant quelque coup contre le vieillard se sert de son frère comme ballon d' essai.
"Au secours, ce 'cow-boy' veut m' attaquer. Il m' a provoqué, vous en êtes tous témoins. Ce salopard me cherche des histoires. Je te casse la figure si tu sors de ta maison. "
Les voisins accourent de tous les côtés. Mon hôte recommence à crier bruyamment: " Hùm, où es- tu, va chercher un agent. Ce vaurien veut porter la main sur ton père."
Xi s' en va vers sa maison. Ses jurons sont d' une violence égale à ceux de l' oncle Chánh. Celui ci brandit son bâton et fait mine d' avancer. Xi, les mains sur les hanches, continue de lancer juron sur juron. Deux agents de police s' amènent enfin.
" J' en appelle à tous mes voisins comme témoins, il a voulu me frapper; j' ai appelé au secours."
Tiêt sort de sa maison, vêtu de son uniforme de treillis. Cette tenue de combat sans galons ne permet pas de distinguer si l' on est soldat ou officier. Les agents de police d' ordinaire ont beaucoup de considération pour les parachutistes, vu leur complexion impétueuse. L'un des agents, conciliant, dit à Tiêt:
" Nous sommes venus par ce qu' on nous appelés. Nous ne savons pas encore ce qui
s' est passé. "
L' oncle Chánh se met à énumérer ses griefs. Finalement il est invité à suivre les agents au commissariat accompagnés par le parachutiste et son frère 'cowboy'.
Le soir on voit rentrer non pas le trio mais seulememt les deux personnes belligérantes. Tiêt a été retenu pour complément d' information sur quelques affaires de marché noir et de traffic auxquelles il s' est trouvé mêlé.
De policiers militaires américains sont venus à leur tour pour enquêter sur les activités extra- professionelles des déchargeurs d' immondices. La femme et le jeune frère de Tiêt se montrent désormais humbles et effacés devant les voisins. Plus l' absence de Tiêt se prolonge, plus sa famille s' achemine vers le gêne. Au bout de quelques semaines la situation devient vraiment critique pour la femme qui a à nourrir plusieurs bouches sans tirer plus aucun profit du métier de chiffonnier puisque les camions américains ne s' arrêtent plus chez elle comme c' était l' habitude.
Cette femme est surprise par dessus le marché en train de 'se promener' avec les étrangers dans les recoins de la plantation d' hévéas qu' on surnomme la fôret d' amour. Tout le quar-
tier se donne dès lors libre cour aux médisances là dessus. On savait déjà son passé équi-
voque. Quelle éclatante confirmation ! Les prostestations de la femme faiblissent de jour en jour. Finalement elle reconnai^t son fait sans fausse honte dans une avalanche de jurons et d' injures qui enterrent toute la littérature des mauvais langues du lieu.
L' oncle Chánh victorieux de la récente dispute apparait comme le bienfaiteur des familles besogneuses qui vivent au bord de la plantation. À sa vue, on l' acclame:
" Grâce à vous, nous pouvons mieux vivre maintenant ."
Lea camions américans en effet ne s' arrêtent plus devant les maisonnettes A,B.,C, D, E. Une rangée de barbelés les sépare maintenant de la route. Une fois, un G.M.C. s' arrête de l' autre côté des barbelés, son chauffeur appercoit la femme de Tiêt lui faisant signe de faire un détour pour venir devant la cour de chez elle. L' aspect fort peu carrosable du chemin decoit le chauffeur, qui s' en va tout droit jeter sa cargaison plus loin près de la plantation. Les enfants des familles pauvres qui habitent là crient de joie. Xi, sa belle soeur et son petit frère accourent pour disputer quelques caisses en bois ou en carton, mais une volée de pierres accompagnées des regards hai^neux et des poings levés vers eux les font reculer sans tarder. Leurs jurons et leurs insultes ne font rien à ceux qui s' estiment frustrés depuis trop longtemps dans leur droit de vivre. Sur les camions, des soldats étrangers regardent le spectacle avec des sourires amusés. Et ces fourmis humaines de ramener patiemment leur prise au foyer.
Chaque matin désormais lorsque je vais satisfaire mes besoins dans la forêt d' hévéas je vois une petite foule d' adultes et d' enfants s' accroupir au nord de la route dans l' attente des camions américains qui viennent déverser les mannes quotidiennes. Les visages de ces ramasseurs d' immondices de tout âge me semblent animés par la joie et l' espoir, eux qui étaient si triste auparavant. Je revois les enfants, moins sales, moins emaciés et exsan-
gues qu' auparavant. Cette fille de dix-sept ans qui avait ravi sans pitié un morceau de chocolat à son petit frère se tient maintenant sous un hévéa, habillée plus décemment, en train de sourire à un garcon de son âge.
Tiết est relâché au bout de quelques semaines. Depuis qu' il est rendu à sa femme et sa famille il s' enferme dans un silence absolu et ne fait plus le fier avec les voisins. L' oncle Chánh auusi se tait, et fume beaucoup de tabac. Je comprends qu' il réfléchit à un pro-
blème très difficile mais ne veut pas me le dire. Je finis par apprendre que des créanciers
l' assaillent de toutes parts. Son fis ai^né doit s' en aller vivre auprès des parents qui font des commerce quelque part dans une province au sud de la capitale. Le reste de la famille composé de trois personnes, l' oncle, son fils cadet et moi survivons dans le strict néces-
aire. Le riz rouge est trouvé au jour le jour et pour tout aliment nous consommons des poissons salés et séchés. Dans les pires moments de l' indigestion, le moindre hoquet fait remonter en moi l' image d' un poisson !
Un beau jour l' oncle Chánh prend lui-même la décision de quitter de banlieue pour émigrer à Dalat où il espère mieux gagner sa vie.
Pour ma part, je me sens dans l' obligation de rester à Saigon pour ne pas être une charge de plus pour lui dans ces moments difficiles.
Nos adieux sont briefs et émouvantes. Je serre la main du père, caresse les cheveux du fils cadet:
" Je ne vous dis pas que je vous remercie. Vous m' avez hébergé dans des conditions si difficiles et je n' ai pu rien faire pour vous. Votre humanité me remplit de confusion. Je n' ai rien à vous dire, mias j' espère que nous reverrons quand l' avenir sera un peu meilleur ..."
Le père et le fils montent dans l' autobus, accompagnés de leur chien Loulou. Je prends la direction inverse flanqué de ma chienne Lili. À part d' un petit paquet de bagage et une somme d' argent juste assez pour payer une course de cyclo pour nous deux, ma chienne et moi, je n' ai plus rien, rien que mes trente ans et mes deux mains vides.
THE PHONG
(Traduit par Lê văn Hảo)
( p. 71- 88 LE CRÉPUSCULE DE LA VIOLENCE / Ed. Trình bày, Saigon.)
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