quinze poètes roumains / choisis par dumitri tsepeneag - 3
quinze poètes roumains -3-
choisis par dumitri tsepeneag
LÉONID DIMOV
par dumitri tsepeneag
Né en 1926 à Ismail, en Bessarabie. Il fait des études de lettres, philosophie, théologie et biologie sans décrocher aucun diplôme. Tout de suite après la guerre il fréquente les milieux trotskystes. Pendant la priode stalinienne, il travaille comme "nègre" pour divers traducteurs du russe. Mène une vie bohème. Au bout d' une nuit bien arrosée d' alcool, il est surpris par la police en train de pisser sur la statue de Staline. Il est sauvé par un général russe que sa famille connaissait.
Il attend longtemps que la littérature sorte de son hibernation réaliste-socialiste. Ses débuts sont tardifs, à quarante ans.
Il est, avec moi, l'initateur du "courant onirique, la première tentative sérieuse pour affranchir la littérature de la tutelle de l'idéologie". ( M. Iorgu- lescu.) Pour nous le rêve n' était pas une source, mais un critère, un modèle structural. "Modèle législatif" disait Dimov.
Après les premiers volumes (Poésies, 1967) ; Sept poèmes, 1969; Au bord du Styx, `1968 ; Le Livres ses rêves, 1969 il simpose assez vite comme l'un des plus importants poètes roumains contemporains. Voir l' excellent article de Lucian Raicou (dans les Temps Modernes, janvier 1990) dont je cite: " ... il mélange souverainement le réel et l'ironie, dans une vaste synthèse qui inclut et les modalités de la poésie roumaines d' entre les deux guerres (Ion Barbu, Udor Arghezi, Ion Vinea) et celles du baroque expression- iste, du modernisme russe ou de l'avant- garde occidentale de type surréaliste. Sa poésie n'a pas tarde à agir sur des jeunes poètes : de Mircea Dinescu à Mircea Cartarescu.
Son oeuvre est abondante. Il faut également mentionner des volumes comme : Ouverture, 1972; ABC, 1973; Dialectique des âges, 1977 ou L' Éternel retour, 1983.
Il meurt en décembre 1987, d'une embolie à la suite d'une banale phlébite chronique qu'il refusait de soigner.
ARCHIMÈDE
Chauve veillard, ne t' effraye pas
Si ton ombre ne vient pas
On va lui trouver quelque part
Une plus multiple racine
Essuye ton triède fleuri
D' angle plus vague au coin de bouche,
Des chambres liquides onr frémi
Jusqu' au plafond , holothuries
Ramasse ta pensée circonscrite
Et prends du sable, ca ne se voit pas :
Le soldat qui t'a tué
Semblait au soir e^tre Archimède.
RÊVE DE VIANDE
Appuyez- vous sur moi, carcasses de porc
Aux striures de boue de la race York,
Croupes de génisses, monceaux d' entrecôtes:
Aujourd'hui je suis l' assommeur aux trois écharpes
De la veille insinué dans l' abattoir
Pour délivrer les âmes de tous les
Taureaux, béliers, verrats
Pour le matin de leur résurrection
Quand ils flotteront tous, ocarinas d' argile
Colorés en framboise et vert-cru,
Larmes se fer-blanc leur pendront
Des yeux mis à la hâte, gratis
Qu'ils revendront et porteront
Aux enfants scrofuleux accroupis aux palissades
Alors, au jour du Jugement,
Quand on échangera tous les souvenirs pour un
calot...
Mais ca suffit. De nouveau nous voilà à tourner
Autour des pouvoir d'ambre
Qui se trouvent là où il y a partout les vergers
burgondes,
Vers les beffrois bavarois à bavoirs
Vers les yourtes pleines à l'entrée des tourteaux
De bouse pour le temps d' hiver
Et des mongoles ivres aux bouches des alambics
Et moi-même dans la ténèbre
Luisante, à fondations de crimes,
Car je tuerai pour un sol, pour un rouble,
Avec l'acier bleu d'une spatule double
Recue en don dans une ère antérieure
De la part du roi épistolaire Nabuchodonosor.
Je vais ranger des quartiers, viande de bouillie,
carcasses
Dans les boucheries des roses commemcements
Pour que je danse pour que je siffle
Une danse tyrolienne
Avec yoddles jubilants
A ne pas finir
Là-haut en crimes de silex silencieux
D'angoisse des nuits à la broche,
Recommencons du commencement,
On a perdu les veaux par la langue,
Les méduses par l'ombrelle, les Carélmites par le nez
Et comme ca le règne entier,
Et maintenant je m'occupe à le trier
Seul, appuyé sur un trident,
Au centre de l'immense coupole, attentif
Pour voir comme les moitiés écrochées et joyeuse
Baignent en larmes les tables,
J'ai encore un saint protecteur longévifique et
solonnel
Pour l'étourdir au vortex avec un marteau de bois
Et lui déterrer l'âme des viscères
Pour qu'il monte au plafond grisé de plaisir.
Vous voyez, au Dieu, en ardente jubilation
Sur le sentier des asymptotes je me suis substitué
Et je tends maintenant vers ce qui est,
Je ferme les yeux je vois des cétacés
Fuyant par l'océan vers moi,
Des Comores aux Aléoutiennes
Qui vont entrer par les lucarnes
Pour que je les coupe, fumantes, en tranches des carnes
De carne rouge tendre, carne de phoques
Voulant dire si on en rêve : maladies atroces.
***
Il y avait, loin, le soleil à moitié couché
En face d'une paroi de nuages, qui s'élevait de
plus en plus.
De même, la ville au seuil de l'hiver, et sur le
mental entier
Une noire bande perforée
Dont les trous laissaient voir des scènes
Obscures, d'habitats souterrains.
Et il avait à peine émigrés de n'importe où en
Bolivie
Sept familles d'oiseaux Kiwi.
Y en avait presque autant lorsque j'ai pénétré
Bistré, amputé et tondu,
Muni de dispositifs et de trompe,
Enterré à grand-messe et pompe
Dans ce monde dont je savais
Qu'il existe, mais n'y croyais pas,
Même en voyant le hublot du diesel géan
D'où nous faisaient signe des conductrices en
combinaisons.
J'ai pincé les lèvres à la vue des autres hôtes
Et je les ai regardées les frai^ches montagnes
Qui ont commence à nous entourer précipitamment.
On a dépasse les haltes aux semi-lunes,
Les aiguilles craquèrent, ... enfin, aucun plaisir !
Et on s'est arrêté en plein passé
Dans une gare aux fruits montagnards
Vendus en paniers et bocaux
Par les graves habitants et habitantes
Sautant sans rime sur trois pieds,
On aurait dit je délire et j'ai feint de ne rien observer,
Mais bien que courbé sous les besaces
Je me suis acheté un panier de fraises
Et je suis parti dans une rue cailloutée
Aux maisonnettes d'ivoire et bakélite,
Comprenant que tu m'attendais en gilet de rubans
Dans cette bourgade de montagne.
Tu as pour moi un mouchoir lie-de-vin,
Tu t'affaires à la cuisine
Tu as mis la table aux couverts luisants,
Mais n'as pas eu le temps d'emprunter les verres.
Ca ne fait rien, nous allons boire aux deux tasses
ventrues,
Achetées, t'en souviens, à la fête aux poteries,
À la casse du printemps, dans le soleil sonore,
Derrière la gare à plate-bande
D'où nous regardait la génération anabionthe
Des nivéoles percant dans les rythmes des martelets
en fonte
Puis chez nous, tu m'as raconté des souvenirs qui
Rappelaient la scène de maintenant avec les plats
Gardés au chaud. Nous nous sourrions devant
l'immense
Paysage. Mais quand j'ai saisi à la pincette
La tranche de citron --
Figés tous les deux : orange
Renaissait dans la pièce un éclairage d'ailleurs --
Je me suis élevé la serviette à la main
Au-dessus de la chaise, de la table aux narcisses
Et j'ai flotté effroyablement lourd par les portes ouvertes
Tu pleurais, étais nu-pieds, avais de longs cils,
Portais une jupe verte aux noires rayures
Et moi dans mes vêtements de bure
Je suis devenu une tache de fumée
Puis une aigrette flottant en bas de l'escalier
Puis une sorte d'obscurité légère
Courant en frissons, couvant évaporé
Sur la route taillée dans l'argile rougea^tre,
Le fleuret à la hanche, ne pas manquer la diligence
À la veille auberge, en cristal de Mayence.
LÉONID DIMOV
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